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Réticence des populations à la vaccination contre le Covid-19 : “Il y’a eu une mauvaise communication”selon Mbagnick Diouf

Réticence des populations à la vaccination contre le Covid-19 : “Il y’a eu une mauvaise communication”selon Mbagnick Diouf

Mbagnick Diouf est un journaliste spécialisé en questions de santé. Il est également le point focal du Réseau des médias africains pour la promotion de la santé et de l’environnement, au sein de l’Afrique de l’Ouest. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, M. Diouf explique la réticence des populations du Sénégal, en général, à se faire vacciner contre le covid19. A l’en croire, c’est parce que le Ministère de la santé a raté sa communication pour rassurer les citoyens. Entretien.

Contenuafrique : Pourquoi les populations ont comme peur de se faire vacciner ?

Mbagnick Diouf : Je pense que c’est une question légitime pour certains Sénégalais qui ont peur, parce qu’il y’avait une polémique entre les scientifiques. Je veux dire les techniciens de la santé : d’éminents professeurs étaient sur les plateaux de télévision pour dénoncer la fiabilité de ces vaccins ; d’autres qui sont pour les vaccins ont démontré le contraire. Finalement, les populations, qui n’étaient pas averties, ont été réticentes par rapport à cette polémique entre les scientifiques. C’est pour dire que les scientifiques n’ont pas gardé le même langage ; certains ont aussi investi les réseaux sociaux et ils ont montré n’importe quelle forme d’image, que d’autres jugent comme étant des fake news. En tout cas, ils ont perturbé la conscience des gens, surtout ce sont des adultes qui devaient se faire vacciner. Ensuite, il n’existait pas un langage franc avec les populations, tantôt on donnait des informations sur le covid19, tantôt on dit le contraire de ce qui était avancé. Il y’a un flou total, en réalité une sorte d’imprévision dans les messages. Au début, on nous disait de ne pas porter les masques indiquant que ce sont les médecins qui avaient seulement le droit de porter les masques, on revient pour nous dire maintenant qu’il faut porter les masques. Finalement, ils ont créé la diversion au sein de la population ; ce qui explique la réticence des populations. A cela s’ajoute la rapidité de la mise en place de ce vaccin. Un scientifique

disait qu’un vaccin doit prendre au moins un à deux ans. Au Sénégal, on a vu en quelques mois, la rapidité de ce vaccin ; y compris aussi la guéguerre des laboratoires. Chaque pays pensait que son vaccin est le plus efficace. Les populations sénégalaises tiennent beaucoup à leur santé, elles préfèrent ne pas avoir des effets secondaires de ces vaccins. Quoi qu’on dise,  la non-prise des vaccins a des effets secondaires. On parlait des thromboses, coagulation du sang et autres réactions, puisqu’il y’avait un cas au moment de la vaccination : une vielle personne âgée de soixante-dix ans qui s’est faite vacciner a eu piqué un AVC. On avait fait une mauvaise communication, par le glissement de ses enfants, qui ont dit qu’il a eu un accident vasculaire cérébral. L’information a fait le tour des réseaux sociaux ; cela fait partie des points que les gens avaient retenus pour effectivement avoir peur de ce vaccin.

Pensez-vous réellement que la communication était bonne ?

Il faut dire qu’il y a eu une mauvaise communication, elle a été ratée depuis le début. Chacun voulait parler ; c’était difficile pour les populations de distinguer la bonne information. La communication était axée sur les gestes barrières, à un moment donné. Ils se sont rendu compte que ce n’était pas la bonne communication. Elle était limitée dans le temps. Je tiens à rappeler que ce n’était pas la première fois qu’on demandait aux gens de se laver les mains. Avec l’avènement d’Ebola, il existait un dispositif de lavage des mains dans tous les services, y compris les structures sanitaires. A peine l’épidémie Ebola terminé en Afrique, on a plus ce réflexe. Chacun voulait communiquer, les gens qui en savent, comme ceux qui n’en connaissent pas. Les médecins ne connaissent rien du coronavirus, il y’avait un tâtonnement général ; chacun parlait de son côté. C’est pour cela peut-être que le message n’a pas bien passé. On nous montrait à la télévision des messages qui ne sont pas des réalités au niveau de certaines régions. Quand on montre le président de la République Macky Sall avec un costume élégant, avec une salle de bain extraordinaire en train de se laver les mains, alors que 90% des sénégalais n’ont pas la salle de bain. Cela veut dire que le message ne peut pas passer ; ils sont passés complètement à côté. Pour ces genres de messages, il fallait prendre des spécialistes qui sont dans les régions, parce que ce sont eux qui connaissent les réalités de leur localité. On ne peut pas faire un spot à partir de la capitale pour le balancer au niveau de la région, les réalités de la capitale sont différents de celles des régions qui sont à l’intérieur du pays. En réalité, ceux qui communiquaient ne sont pas censés pour le faire. Souvent des hommes politiques en mal de reconnaissance ou de popularité  prenaient le micro. Ce qui a été une grave erreur. A l’arrivée, les gens zappaient. Aussi, des rumeurs circulaient pour dire qu’il y’avait beaucoup d’argent. Plus grave, certains politiciens avaient commencé à politiser le message, en donnant des gels alcooliques, ils mettaient leur photo à travers leur tee-shirt. Cela veut dire qu’on a un peu détourné la communication. En réalité, on n’avait pas donné la communication aux professionnels de la communication ; le ministère de la santé livrait tous les jours une information, il ne communiquait pas. Toujours, c’est le même décor, même message. Du coup, les gens avaient des difficultés pour comprendre qu’il y’avait un déficit de communication extraordinaire. Quand on dit santé, c’est un tout, 90%, c’est la société. Malheureusement, on donne 90% au médical, 10% à ceux qui devaient communiquer.

Le virus est toujours est là, on constate un relâchement total?

Le virus est toujours là, mais les gens ne croient plus maintenant aux gestes barrières. Ils ont raison. Comme je l’ai indiqué un plus haut, il y a des gens qui ne devaient pas parler. Ensuite, lors des premiers messages, on nous disait qu’il faut éviter les rassemblements, respecter la distanciation physique. Ce sont les mêmes personnes aujourd’hui qui acceptent qu’un responsable politique réunisse des personnes dans une même salle ou lors de meetings, il y’avait une défiance de la population. Cela veut dire que les gens n’y croient plus. Cela me fait peur d’autant plus que lors de la première vague, les autorités avaient réussi à stabiliser la maladie. Le chef de l’Etat MackySall avait pris certaines mesures pour éviter la circulation des personnes et le virus. Il y’avait vraiment une accalmie à un moment donné. On a levé les gestes barrières et le virus est revenu. Aujourd’hui, on n’a pas fini de crier victoire, le virus continue de circuler au Sénégal. Ce qui est important dans un premier temps, c’est de continuer à suivre les mesures barrières. Le vaccin a poussé les populations à penser que la maladie n’est plus là ; ce qui se passe ailleurs peut bel et bien se passer au Sénégal. En Europe, il y’a une troisième vague comme dans certains pays d’Amérique latine, tel le Brésil.

Les populations préfèrent le vaccin chinois Sinopharm à Astrazeneca. Quelle lecture en faites-vous ?

Juste. Certains optent pour Sinopharm, d’autres Astrazeneca : ce sont les conséquences d’une mauvaise communication. On a tellement vanté les effets positifs de Sinopharm, aussi c’est le premier vaccin que le Sénégal a reçu. Egalement, comme c’est en Chine qu’est apparu le virus, les gens pensent que la Chine est en mesure de fabriquer un vaccin plus efficace. On faisait aussi remarquer une guéguerre entre les laboratoires des différents pays. Cela a poussé certains à choisir le vaccin chinois Sinopharm. Certains disent aussi qu’on peut prendre ce vaccin en une seule dose, or qu’avec Astrazeneca il faudra attendre deux ou trois après pour prendre une seconde dose. Ce qui atteste une mauvaise communication. Il y’a lieu de changer pour que les populations puissent comprendre qu’on a effectivement homologué ces vaccins.

Entretien réalisé par Mapote Gaye

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